Le nouveau Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), cinquième édition, révision du texte (DSM‑5‑TR) de l’American Psychiatric Association (APA), a été publié en mars. Neuf ans se sont écoulés depuis la publication du DSM‑5, et une mise à jour était donc attendue.
L’APA estime qu’il s’agit de la « ressource la plus complète, actualisée et indispensable pour la pratique clinique à la disposition des cliniciens en santé mentale à l’heure actuelle »1. Le chef de la direction et le directeur médical de l’APA ont estimé qu’elle serait « un énorme avantage pour les praticiens, les chercheurs, les établissements universitaires et les systèmes de santé »2. Ce sont des allégations audacieuses, mais comme pour son prédécesseur, le DSM‑5, publié en 2013, les critiques ne manquent pas.3
Le changement le plus frappant concerne l’inclusion du trouble de deuil prolongé4, une affection déjà répertoriée dans la Classification internationale des maladies (CIM)‑115.5 Décrite comme « pertinente et importante » en raison du nombre de décès causés par la pandémie de COVID‑19, de la perturbation des rituels sociaux et des services de soutien formels pour les personnes endeuillées6, l’intégration du trouble de deuil prolongé a également été considérée comme ajoutant à la « confusion et à la stigmatisation ».7
Plus généralement, on observe des modifications concernant la prévalence, les facteurs de risque et de pronostic, les caractéristiques liées à la culture et les marqueurs diagnostiques pour la plupart des troubles. Les révisions linguistiques sont tout aussi importantes. Elles revêtent non seulement un caractère technique (par exemple, l’abolition du terme « neuroleptique » pour décrire les médicaments antipsychotiques), mais elles tiennent aussi compte du fait que certaines terminologies étaient obsolètes, y compris dans le DSM‑5.
Le déficit intellectuel se transforme en trouble du développement intellectuel, alors que le trouble de conversion devient à présent un trouble neurologique fonctionnel. D’autres changements, tels que le fait que le « genre désiré » devienne un « genre éprouvé » et que la « procédure médicale transsexuelle » soit remplacée par « procédure médicale confirmant le genre », représentent de petits pas qui avancent dans la bonne direction.
Les critères pour un certain nombre de troubles ont également été mis à jour, sans que l’on sache à quel point ils auront un impact réel sur la pratique clinique.8
Ajouter un comportement suicidaire et une automutilation non suicidaire au chapitre « autres affections qui pourraient faire l’objet d’une attention clinique » est utile. Ces problématiques sont importantes en termes de planification de prise en charge, et ce indépendamment de la présence ou non d’un trouble.
La mise en correspondance de ces problèmes et d’autres troubles avec les codes CIM‑10‑CM met en lumière une autre critique possible du texte. CIM‑10‑CM est l’abréviation de « Classification internationale des maladies, 10e édition, Modification clinique ». Ces codes sont utilisés par les organismes de statistique américains et sont exigés par l’administration américaine du financement des soins de santé (« U.S. Health Care Financing Administration ») à des fins de remboursement dans le cadre du système Medicare.9
Les questions d’hégémonie médicale et d’intérêt personnel ne sont jamais très éloignées.10 Quelle que soit la façon dont ils sont présentés, la CIM et le DSM ne sont pas des produits purs et désintéressés de la science, mais des constructions sociales évolutives nées d’un mélange de forces concurrentes.
On peut comprendre qu’un psychiatre s’intéresse à combien d’anges l’APA peut faire danser sur une tête d’une épingle, mais d’une manière plus générale, quel est l’intérêt est pour les assureurs ?
Le principal atout des classifications largement acceptées réside peut-être dans le fait qu’elles offrent des règles du jeu identiques pour les assureurs et les assurés. Il est pratique de disposer des informations sur le risque et le pronostic à un seul endroit et de les appliquer à un ensemble cohérent de catégories. Celles‑ci peuvent être utilisées dans le cadre de la tarification pour comprendre le profil de risque du proposant, clarifier les exclusions éventuelles, être utilisées pour comparer et vérifier les décisions et fournir un langage commun pour appréhender les résultats d’un produit sur le long terme. Nous savons tous ce dont on parle.
En ce qui concerne les sinistres, il est utile de savoir clairement ce qui peut ou ne peut pas être diagnostiqué comme une maladie mentale selon les dispositions du contrat, dans un domaine où le langage est notoirement glissant11. Cela aide à comprendre le pronostic d’un assuré et à s’assurer que tout risque de chronicité est compris dans les outils de gestion des sinistres et/ou clairement reconnu lorsque ces derniers ne sont pas utilisés.
Le DSM‑5‑TR ne prétend pas être un référentiel de directives de gestion. Ces dernières varient d’un marché à l’autre et doivent être adaptées à chaque assuré, mais le DSM peut aider à mettre en évidence les domaines dans lesquels un apport spécifique est nécessaire.
La mise à jour peut soulever des controverses dans certains domaines, toutefois, dans bien des cas, elle pourrait aider à clarifier les choses dans un monde complexe.
Notes
- APA – Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders Fifth Edition Text Revision DSM‑5‑TR (appi.org), https://www.appi.org/Products/DSM-Library/Diagnostic-and-Statistical-Manual-of-Mental-Di-(1)
- Updated DSM‑5 Text Revisions to Be Released in March | Psychiatric News (psychiatryonline.org), https://psychnews.psychiatryonline.org/doi/10.1176/appi.pn.2022.1.20
- Have Psychiatrists Learnt to Think Yet? DSM‑5 and Medicalising of Everyday Life https://www.genre.com/knowledge/publications/2014/january/uwfocus13-2-ball-en
DSM‑5-TR…Already? (psychiatrictimes.com), https://www.psychiatrictimes.com/view/dsm-5-tr-already-
DSM‑5 Update: What’s New? (medscape.com), https://www.medscape.com/viewarticle/969662?spon=12&uac=117244AK&impID=4063880&sso=true&faf=1&src=WNL_mdpls_220304_mscpedit_psych - Updated DSM‑5 Text Revisions to Be Released in March | Psychiatric News (psychiatryonline.org), https://psychnews.psychiatryonline.org/doi/10.1176/appi.pn.2022.1.20
- Content overlap analyses of ICD‑11 and DSM‑5 prolonged grief disorder and prior criteria-sets — de research portal van de Rijksuniversiteit Groningen (rug.nl), https://research.rug.nl/nl/publications/content-overlap-analyses-of-icd-11-and-dsm-5-prolonged-grief-diso
- Prolonged Grief Disorder Diagnostic Criteria—Helping Those With Maladaptive Grief Responses | Depressive Disorders | JAMA Psychiatry | JAMA Network, https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/article-abstract/2788766
- DSM‑5 Update: What’s New? (medscape.com), https://www.medscape.com/viewarticle/969662?spon=12&uac=117244AK&impID=4063880&sso=true&faf=1&src=WNL_mdpls_220304_mscpedit_psych#vp_2
- Updated DSM‑5 Text Revisions to Be Released in March | Psychiatric News (psychiatryonline.org), https://psychnews.psychiatryonline.org/doi/10.1176/appi.pn.2022.1.20
- Facts About DSM‑5‑TR | Psychiatric News (psychiatryonline.org), https://psychnews.psychiatryonline.org/doi/10.1176/appi.pn.2022.03.3.28
- Biomedical Hegemony: A Critical Perspective on the Cultural Imperialism of Modern Biomedical Perspectives on Human Life | Euroacademia, http://euroacademia.eu/presentation/biomedical-hegemony-a-critical-perspective-on-the-cultural-imperialism-of-modern-biomedical-perspectives-on-human-life/
- Why the language we use to describe mental health matters | Mental Health Foundation, https://www.mentalhealth.org.uk/blog/why-language-we-use-describe-mental-health-matters
Toutes les notes ont été consultées pour la dernière fois le 20 juin 2022.