Le rôle du travail
En admettant que la stabilité économique, l’environnement et le contexte social représentent des déterminants sociaux de la santé majeurs, comment pouvons-nous alors intégrer cette notion au processus de gestion des sinistres Incapacité/Invalidité ?
Toutes ces activités partagent un point commun : le travail. Ce dernier est un élément central de notre vie. Nous travaillons presque tous les jours, une grande partie de la journée, pendant des décennies. Selon des estimations récentes, une personne passera en moyenne 90 000 heures au travail au cours de sa vie, soit un tiers de sa vie !7
Des données internationales probantes montrent que, dans la plupart des cas, le travail est bénéfique pour la santé et le bien-être des personnes.8 Au‑delà du salaire gagné, le travail nous donne un sens et un but, une façon de structurer et d’occuper notre temps, une activité physique et mentale, des occasions de développer et d’utiliser nos compétences, un sentiment d’identité et de réussite personnelle, un contact social et un soutien, et, espérons‑le, un sentiment d’accomplissement.
À l’inverse, les personnes qui ne travaillent pas sont globalement en moins bonne santé physique et mentale, consultent plus souvent leur médecin, risquent davantage d’être hospitalisées et enregistrent des taux de mortalité plus élevés. Certaines études vont même jusqu’à conclure que le risque pour la santé associé à l’inactivité professionnelle, à long terme, surpasse celui que représentent d’autres maladies graves telles que les maladies cardiaques. C’est pourquoi de nombreux experts recommandent aujourd’hui le maintien du travail ou le retour au travail dès que possible après un arrêt de travail.
Grâce à une analyse plus approfondie des effets du travail sur les déterminants sociaux de la santé, il est possible de mieux comprendre dans quelle mesure les facteurs non médicaux conduisent à des sinistres Incapacité/Invalidité et de mettre à profit ces connaissances en vue d’aider les assurés à reprendre le travail.
Stabilité économique
La crise du coût de la vie observée dans de nombreuses régions du monde se répercute sur la santé et le bien-être, renforçant ainsi l’importance de la stabilité économique. Le dernier « Health Wealth & Happiness Index » de LifeSearch, un sondage britannique commandé par le Centre pour la recherche économique et commerciale (Centre for Economics and Business Research), a révélé qu’en 2023, la santé mentale, financière et physique s’était détériorée jusqu’à atteindre les niveaux « historiquement bas » enregistrés au plus fort de la pandémie de COVID‑19, il y a trois ans.
Cette étude montre que près d’un tiers (32 %) des britanniques ont vu leur santé mentale et leur bien-être se dégrader au cours de l’année écoulée, la crise du coût de la vie en étant considérée comme la principale cause (44 %).9 En août 2023, l’Alliance contre les inégalités en santé (« Inequalities in Health Alliance »), convoquée par le Collège royal des médecins (« Royal College of Physicians »), a publié les résultats d’un sondage commandé à YouGov montrant que, parmi les personnes ayant déclaré une dégradation de leur état de santé, 84 % ont affirmé que cela était dû à l’augmentation du coût du chauffage, plus des trois quarts (78 %) à l’augmentation du coût de la nourriture et près de la moitié (46 %) à l’augmentation des coûts de transport.10
La stabilité économique améliore la santé, mais les barrières à celle‑ci englobent la pénurie de travail, le manque de modes de garde d’enfants, les difficultés d’orientation professionnelle, le manque de flexibilité au travail et l’absence d’aménagements appropriés du lieu de travail.11 Bien que les assureurs ne puissent pas agir directement sur la conjoncture économique, ils fournissent des services précieux qui contribuent à la stabilité économique. La protection financière en elle-même en fait partie, de même que les services offerts dans le cadre de la gestion des sinistres, tels que les services de réhabilitation professionnelle, les programmes en faveur du bien-être ainsi que les recommandations en matière de mesures raisonnables d’adaptation de poste, pour n’en citer que quelques‑uns.
Quartier et environnement bâti
Bien que cette catégorie recouvre le quartier résidentiel et les conditions de vie d’une personne, l’environnement physique de travail ne peut être négligé, compte tenu du temps passé au travail et des activités qui s’y déroulent. Dans la mesure où les gens passent beaucoup de temps à travailler, leur environnement de travail a un impact majeur sur leur santé. Dans certains cas, des personnes souffrent de pertes auditives, de maladies de la peau ou de problèmes pulmonaires en raison de leur exposition à des risques professionnels, et les lésions musculo-squelettiques demeurent une cause majeure de sinistres chez les travailleurs manuels.
En dépit des améliorations significatives réalisées en matière de santé et sécurité au travail au cours des 150 dernières années, il reste encore beaucoup à faire. Des interventions spécialement conçues pour certaines industries – comme les efforts de prévention des chutes dans le secteur de la construction – peuvent contribuer et ont contribué à réduire le nombre d’accidents, de maladies et de décès dus au travail. Presque toutes les industries ont connu des changements significatifs en raison des nouvelles technologies, telles que la robotique et l’intelligence artificielle. Les employeurs peuvent contribuer à améliorer la santé et le bien-être des travailleurs en proposant des programmes de bien-être visant à promouvoir la qualité de vie et à prévenir les problèmes de santé avant qu’ils ne surviennent.12 Les assureurs possèdent une expertise précieuse à offrir en la matière.
Un changement récent significatif de l’environnement de travail est la montée en puissance du télétravail. En 2021, le nombre de personnes télétravaillant était trois fois plus élevé qu’en 2019.13 Il est peut-être trop tôt pour en juger, mais certaines sources suggèrent que ce changement pourrait avoir un impact positif sur la santé et le bien-être, les individus bénéficiant d’une plus grande flexibilité et d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Un sondage mené au Royaume-Uni a révélé que les chiffres de l’absentéisme au travail pour cause de maladie ont diminué en 2023 pour la quatrième année consécutive, et ce en parallèle de la croissance du travail hybride.14
Contexte social et communautaire
Alors que le nombre de blessures et de maladies physiques diminue, l’impact du travail sur notre santé mentale fait l’objet de nombreuses discussions. Le contexte social et communautaire est un terme qui fait référence aux environnements et aux relations dans lesquels les gens vivent et travaillent, ainsi qu’à la manière dont ils influent sur leur santé et leur bien-être. Les relations et les interactions des personnes avec leurs collègues de travail peuvent avoir un impact majeur sur le sentiment de cohésion et d’appartenance, qui se répercute à son tour sur la santé et le bien-être. On ne saurait sous-estimer le poids de la culture, de la communication et de la discrimination au travail.15
Ainsi, une compréhension approfondie de la culture du lieu de travail de l’assuré, des politiques de bien-être ainsi que des relations constitue un élément important pour une gestion efficace des sinistres Incapacité/Invalidité. Dans de nombreux cas, l’amertume résultant d’un conflit ou d’une injustice perçue sur le lieu de travail peut constituer un frein plus important à un retour au travail réussi que l’état de santé lui‑même.
Comment prendre en compte les déterminants sociaux de la santé ?
Si les gestionnaires de sinistres ont peu d’influence sur le macro-environnement, ils peuvent en revanche agir de manière significative sur la capacité d’un individu à travailler, en prévenant les absences de longue durée et en favorisant le retour au travail grâce à une gestion globale des sinistres d’arrêts de travail.
En admettant que l’invalidité est influencée par les divers déterminants sociaux de la santé et que le travail représente une source importante pour ces déterminants, il s’ensuit qu’une gestion solide et holistique des sinistres ne peut pas se concentrer uniquement sur le traitement médical. Dans de nombreux cas, il peut être utile d’intégrer des stratégies non médicales en complément de la prise en charge médicale traditionnelle et de la réhabilitation. Il convient de considérer les outils et ressources suivants :
Le bien-être commence avant le sinistre
La question du bien-être des salariés a fait l’objet d’un nombre croissant de recherches au cours des dernières années. Selon Deloitte, « à mesure que la frontière entre le travail et la vie s’estompe, la mise en place d’un ensemble solide de programmes de bien-être axés sur la santé physique, mentale, financière et spirituelle devient une responsabilité de l’entreprise et une stratégie visant à stimuler la productivité, l’engagement et la fidélisation des employés. »16
Selon Group Risk Development (GRiD), sur les quatre piliers du bien-être – mental, financier, physique et social – le bien-être mental est en tête des priorités qui sont considérées par les employés comme devant être prises en charge par leur employeur, avec la moitié (49 %) des employés choisissant cette priorité devant les autres domaines du bien‑être.17
Les employeurs se tournent souvent vers leurs assureurs pour obtenir des conseils et du soutien concernant le bien-être de leurs employés. Dans la mesure du possible, les assureurs devraient soutenir les programmes de bien-être tant pour les particuliers que pour les employeurs. Ils peuvent prendre de nombreuses formes, les exemples les plus courants étant les applications de bien-être, les programmes d’aide aux employés, les conseils en matière de santé mentale, ainsi que les programmes de suivi de la santé et de récompenses.
Le succès des programmes de bien-être présente de multiples avantages. Lorsque le bien-être devient une priorité, il en découle des résultats qui profitent à la fois à l’employé, à l’employeur et à l’assureur.
Comprendre les facteurs liés au travail qui favorisent les sinistres
Les meilleures pratiques en matière de gestion de sinistres ne se concentrent pas uniquement sur les informations médicales, mais impliquent une compréhension approfondie des répercussions des DSS. S’il est généralement admis que l’aptitude à travailler contribue de manière significative à la bonne santé, les facteurs de risque professionnels sont souvent cités comme étant les principaux facteurs déclenchant et perpétuant les problèmes de santé.
Par conséquent, il est essentiel de comprendre les facteurs de risque professionnels et, le cas échéant, d’y remédier pour assurer une gestion rigoureuse des sinistres. Il est primordial de comprendre les spécificités de la profession de l’assuré. Les facteurs suivants sont généralement considérés comme présentant un risque élevé :
- Les emplois dont les tâches sont intrinsèquement dangereuses (par exemple, les travailleurs des plates-formes pétrolières, le travail manuel répétitif).
- Les emplois à forte responsabilité sociale et éthique (par exemple, les travailleurs du secteur médical et social).
- L’exposition à la violence, aux traumatismes ou aux abus sur le lieu de travail (par exemple, professionnels de la santé, policiers, militaires).
- Le fait d’être travailleur indépendant.
- Les employeurs peu soucieux du bien-être de leurs employés ou avec une culture d’entreprise négative.
- Un travail désagréable ou avec une faible satisfaction professionnelle.
- Un travail perçu comme stressant – ceci est le critère le plus important.
En cas de sinistre, une évaluation professionnelle et financière approfondie est nécessaire. Le travail est bien plus qu’un simple intitulé de poste, et une évaluation professionnelle appropriée ne se borne pas à demander l’intitulé du poste. Il est essentiel de comprendre les exigences professionnelles de l’emploi, ainsi que l’environnement physique et social du lieu de travail.
Les informations requises dans le cadre de l’évaluation professionnelle dépendent de plusieurs facteurs, notamment de la nature du diagnostic et de la durée prévue du sinistre, ainsi que de l’activité professionnelle à proprement parler. Par exemple, si l’assuré a subi un accident dévastateur et qu’il est actuellement en état d’incapacité et hospitalisé, il peut s’avérer excessif et injuste pour l’assuré d’insister sur une analyse professionnelle approfondie avant de décider de la validité du sinistre. En revanche, si l’assuré déclare un sinistre pour une affection plus légère ou subjective, une analyse détaillée de la profession peut s’avérer essentielle. Un bon exemple est la douleur au genou, qui peut ne pas gêner un comptable qui peut effectuer la plupart de ses tâches en position assise, mais qui peut affecter considérablement un coiffeur qui doit rester debout la majeure partie de la journée.
Envisager des adaptations de poste appropriées
La majeure partie des absences est de courte durée et la plupart des personnes reprennent le travail.18 Une analyse des données de l’Office britannique des statistiques nationales réalisée en 2022 a montré que plus de 26 % des personnes atteintes d’une maladie de longue durée au Royaume-Uni souhaitent reprendre le travail.19 L’article poursuit en indiquant que le fait d’aider ces personnes à reprendre le travail sera favorable pour l’économie et aidera les employeurs à faire face aux pénuries de personnel qu’ils connaissent actuellement.
Illustration 2 – Adaptations pour la reprise du travail ou le maintien dans l’emploi