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En février 2021, la Commission européenne (CE) a publié le « Plan européen pour vaincre le cancer », qui définit un plan d’action pour lutter contre le cancer dans l’Union européenne (UE). Outre les mesures de prévention et de traitement du cancer, il s’agit également de préserver la qualité de vie des patients atteints d’un cancer ainsi que des personnes ayant survécu au cancer.
Une référence explicite est faite à l’accès aux services financiers qui, dans le cas de l’assurance vie, serait rendu plus difficile en raison de l’opposition de refus de couverture ou de l’application d’augmentations considérables des primes d’assurance aux personnes avec un antécédent de cancer, et ce même si la maladie est en rémission depuis longtemps. La CE a donc introduit le « Droit à l’oubli » (DAO), qui vise à s’assurer que les patients anciennement atteints de cancer ayant surmonté la maladie ne rencontrent pas de difficultés au moment de souscrire des contrats d’assurance indispensables.1
Quelques pays européens ont déjà mis en place ce type de mesures. En France, le Droit à l’oubli est en vigueur depuis 2016. En 2020 et 2021, il est entré en vigueur en Belgique, au Luxembourg et aux Pays‑Bas. Début 2022, le Portugal a mis en œuvre une législation similaire et la Roumanie a emboîté le pas au mois de septembre de la même année. De plus, en Italie, une proposition de loi a été présentée au Sénat, laquelle prévoit également l’adoption de droits en faveur des personnes avec un antécédent de cancer.2 Les graphiques 1 et 2 donnent un aperçu des réglementations en matière de Droit à l’oubli dans différents pays de l’UE.
Le plan d’action de la CE appelle désormais tous les pays de l’UE à collaborer pour la mise en application du « Plan pour vaincre le cancer ». Par conséquent, nous nous attendons à ce qu’un nombre grandissant de pays (européens) soient incités à se pencher sur la question du Droit à l’oubli et à œuvrer pour sa mise en application dans les meilleurs délais.
Le Droit à l’oubli précise que les assureurs, au moment du calcul des primes d’assurance, ne doivent pas prendre en compte les informations médicales relatives à des cancers survenus il y a plus d’une période définie, généralement cinq ou dix ans, non pas après la date de diagnostic, mais après la fin du protocole thérapeutique en l’absence de rechute.
La loi vise à améliorer la qualité de vie des personnes avec un antécédent de cancer en leur garantissant l’accès aux services d’assurance obligatoire essentiels. Bien qu’il n’y ait aucune obligation légale de souscrire une assurance-vie lorsqu’on souscrit un prêt, il est de pratique courante pour les banques et les fournisseurs de crédit de n’accorder des prêts qu’à condition que cette assurance soit obtenue.3,4,5,6
Afin d’orienter la loi spécifiquement sur cette population et sur les services financiers indispensables, la loi du Droit à l’oubli portait initialement uniquement sur certains types d’assurance-vie, avec des limitations complémentaires relatives au montant maximum garanti et à la limite d’âge (Graphique 1).
Types de produits d’assurance, montants assurés et différences de déclaration (dernière mise à jour le 1er octobre 2022)
Pour certains cancers dont le pronostic est particulièrement bon et le risque de récidive faible, des limitations du délais d’accès s’appliquent. En outre, la liste comprend souvent d’autres maladies chroniques qui doivent être négligées ou qui doivent uniquement faire l’objet de l’application d’une surprime plafonnée au moment de la tarification. Il s’agit notamment de l’hépatite C et du VIH. Ces affections sont définies distinctement dans des grilles dites de référence qui varient sensiblement selon les pays et les législations (Graphique 2).
Périodes d’application du Droit à l’oubli et maladies avec des dispositions spécifiques (dernière mise à jour le 1er octobre 2022)
Les autres pays européens ayant adopté le Droit à l’oubli disposent d’une grille de référence définissant la liste précise des maladies qui entrent dans le cadre de la loi. D’une part, celles‑ci comprennent des cancers moins lourds ayant un meilleur pronostic et pouvant donc être considérés comme guéris après une plus courte période après la fin du traitement. D’autre part, les grilles définissent également des critères et les surprimes maximales applicables à d’autres pathologies chroniques, telles que l’hépatite C, le VIH ou la leucémie.
Si la loi portugaise inclut spécifiquement les maladies chroniques (aucune information ne peut être collectée après deux années consécutives de traitement efficace pour un risque de santé aggravé ou une invalidité limitée), il n’existe pas encore de grille de référence pour guider les assureurs dans l’application de la loi.
L’Association portugaise des assureurs (APS) a créé un tableau indicatif pour les cancers les plus bénins et l’hépatite virale C, en suivant l’exemple du Luxembourg et de la Belgique, mais la procédure de gestion des autres maladies telles que le diabète et le VIH n’est toujours pas définie, ce qui prête à confusion pour les proposants et les compagnies d’assurance.
Si les premières introductions de la loi étaient relativement claires et limitées, les avancées récentes ont une plus grande portée. Même si les modalités d’application de la loi ne sont pas clairement définies, la version portugaise inclut le droit à l’oubli des maladies chroniques après un « traitement efficace et continu pendant deux ans ».
A compter du 1er octobre 2022, la réglementation française ne prévoit pas seulement de limiter les surprimes applicables aux cas de VIH, mais plutôt les inclure dans la liste des maladies devant être acceptées sans surprime et être complétement négligées à la condition que les critères requis soient remplis.30 Dans le courant de l’année, en France, le délai du droit à l’oubli a été abaissé à cinq ans maximum quel que soit l’âge, et la sélection médicale pour les assurances de prêt dont le montant assuré ne dépasse pas 200 000 euros a été supprimée.31
L’association belge des assureurs, Assuralia, a obligé ses membres à respecter un code de conduite qui applique également le Droit à l’oubli à l’assurance « Revenu Garanti », une assurance Incapacité/Invalidité qui prévoit le versement d’une indemnité en cas de maladie ou d’invalidité de longue durée afin de compenser la perte de revenu entre le salaire habituel et les prestations versées par le système public de sécurité sociale.32
Compte tenu de ces évolutions et de la perspective de la mise en œuvre de la loi dans d’autres pays, nous voulons présenter et analyser les conséquences de la loi pour le secteur de l’assurance et jeter les bases nécessaires à une concertation entre les représentants politiques, les associations de malades et le secteur de l’assurance qui permette de parvenir à une législation consensuelle dans les pays qui envisagent de mettre en place le Droit à l’oubli, ou dans les pays qui prévoient d’étendre le champ d’application actuel.
Afin de déterminer le risque que représente le droit à l’oubli pour les assureurs, nous présenterons par la suite un aperçu des risques liés au cancer en général, en mettant l’accent sur le risque de mortalité sur le long terme et sur les répercussions du Droit à l’oubli sur le portefeuille de l’assureur.
Le nombre de personnes ayant survécu après un diagnostic de cancer (c’est-à-dire de cas prévalents) a augmenté au cours des 30 dernières années, atteignant environ 5 % de la population totale dans plusieurs pays.33 Cette tendance est liée à un nombre croissant de nouveaux diagnostics de cancer (principalement dus au vieillissement de la population) et à l’amélioration des taux de survie au cancer associée à un meilleur traitement et à un diagnostic précoce.
En 2020, il y avait environ 20 millions de personnes ayant survécu au cancer en Europe et environ un tiers d’entre elles sont en âge de travailler, et sont donc des candidates potentielles pour souscrire une police d’assurance.34 Ce groupe croissant de personnes comprend les patients atteints d’un cancer qui sont actuellement sous traitement, les patients qui sont en rémission, c’est-à-dire ceux qui ne sont plus atteints du cancer mais qui présentent toujours un surrisque mesurable de récidive ou de décès, et les patients qui sont considérés comme étant « guéris », car ils ont retrouvé un taux de mortalité identique à celui de la population générale.35
Dans le cadre du Droit à l’oubli, tous les types de cancer seront acceptés aux conditions normales passé un délai de cinq à dix ans après la fin du traitement. Comment le Droit à l’oubli influencera-t-il le portefeuille des assureurs alors que les mécanismes de tarification des risques ne sont plus autorisés ou ne le sont que pour certains types de produits d’assurance ? Les personnes ayant survécu à un cancer présentent-elles une surmortalité significative si elles sont en rémission du cancer depuis 10 ans et plus ?
Dans ce qui suit, nous essaierons de donner des réponses à ces questions. Examinons d’abord les études médicales sur la survie au cancer.
L’espérance de vie et la survie d’un individu après un diagnostic de cancer dépendent de l’âge au moment du diagnostic, du type de cancer diagnostiqué, du stade auquel le cancer a été diagnostiqué et du type de traitement reçu par le patient. Par conséquent, il existe une grande variabilité de la survie au cancer.
La « fraction de guérison », c’est-à-dire « la proportion de cas de cancer susceptibles de retrouver des taux de mortalité identiques à ceux de la population générale » diffère non seulement selon les types de cancer, mais également selon le « temps de guérison », défini comme le « nombre d’années après le diagnostic du cancer nécessaire pour éliminer ou rendre négligeable la surmortalité due au cancer ».36
Il existe plusieurs types de cancer qui, lorsqu’ils sont diagnostiqués à un stade précoce, ont un pronostic particulièrement bon et un délai de guérison court, par exemple les cancers du testicule et de la thyroïde avec une fraction de guérison de 94 % et de 98 %, respectivement, et un délai de guérison de moins d’un an après le diagnostic.37
Les cancers dans ce groupe peuvent aujourd’hui être considérés comme des maladies chroniques plutôt que mortelles et il est donc légitime de les « oublier » à un stade plus précoce tel que défini par les grilles médicales du Droit à l’oubli.
On a identifié un autre groupe de cancers, pour lesquels la surmortalité liée au cancer devient négligeable en moins de 10 ans pour les patients de moins de 45 ans atteints de lymphome de Hodgkin, de mélanome cutané et de cancer du col de l’utérus.38 De plus, un « surrisque négligeable de décès dans les 10 ans suivant le diagnostic » a été observé chez les patients atteints d’un cancer colorectal ainsi que chez les patients plus jeunes atteints d’un cancer de l’estomac.39
Ces cancers ne semblent pas présenter une augmentation significative de la mortalité après 10 ans en comparaison avec la population générale et par conséquent il apparait légitime de les « oublier » passé un délai de 10 ans après la fin du traitement.
Il existe des cancers qui présentent un risque de récidive tardive voire de décès 10 ans après le diagnostic, par exemple le cancer du poumon avec un temps de guérison de plus de 10 ans, le cancer du sein avec un temps de guérison de 10 à 17 ans, ou le cancer de la vessie avec un temps de guérison de 18 à 20 ans.40,41
Ce groupe de cancers est particulièrement significatif pour les assureurs visés par le Droit à l’oubli, car la mortalité liée au cancer reste élevée dix ans après le diagnostic.
Le traitement du cancer est de plus en plus ciblé, ce qui se traduit par des taux de survie plus élevés et des effets à long terme moins graves pour les personnes avec un antécédent de cancer. Malgré cette évolution favorable, le traitement anticancéreux peut toujours s’avérer nocif pour l’organisme, et les personnes avec un antécédent de cancer peuvent, selon leur traitement, être plus enclins à développer de nouveaux cancers et d’autres maladies chroniques, notamment des troubles de la thyroïde, du diabète, des complications neurologiques, une insuffisance hépatique, une maladie rénale ou une insuffisance cardiaque.42
Alors que chez les adultes plus âgés (diagnostiquées entre 60 et 70 ans), les « effets négatifs à long terme du traitement anticancéreux peuvent finalement être minimes »43, ceux‑ci restent significatifs chez les enfants ayant survécu à un cancer. Une étude récente a examiné les effets tardifs chez les enfants et les jeunes adultes dont le cancer a été diagnostiqué avant l’âge de 25 ans et qui ont été suivis pendant une durée de 20 ans.
L’étude constate que « les personnes ayant survécu à un cancer constituent un groupe hétérogène au sein duquel l’ampleur des effets tardifs varie en fonction des sous-types de cancer, du statut socio-économique, de l’exposition au traitement et des classes de médicaments de chimiothérapie. Par rapport aux groupes témoins, les survivants présentaient notamment un risque plus élevé de morbidité, quel que soit leur diagnostic initial de cancer et leur statut socio-économique. »44
Ce point s’avère pertinent pour la population éligible au Droit à l’oubli puisqu’une période de 10 ans se sera écoulée lorsque les personnes de cette tranche d’âge atteindront l’âge habituel de souscription d’une police d’assurance-vie associée à un prêt hypothécaire. En vertu des dispositions du Droit à l’oubli, les conséquences tardives du traitement anticancéreux peuvent encore faire l’objet d’une tarification mais pas la maladie cancéreuse initiale.
Voilà un défi auquel sont confrontés les tarificateurs dans leur travail quotidien au sein des pays où le Droit à l’oubli est déjà en vigueur.
Le Droit à l’oubli ne distinguera pas les différents types de cancer ou les différents stades de cancer après un certain laps de temps écoulé depuis le traitement. Quel est le risque réel de mortalité sur le long terme si l’on considère tous les cancers confonfus ?
Quelques études récentes évaluent la survie ou la mortalité « tous cancers confondus ». Les auteurs d’une étude italienne portant sur des patients atteints de cancer âgés de 45 à 80 ans et suivis sur une période de 28 ans après leur diagnostic concluent que « l’espérance de vie des patients atteints de cancer sur le long terme se rapproche de celle de la population générale sans pour autant l’atteindre. »45
Une autre étude portant sur des patients suédois atteints d’un cancer diagnostiqué à l’âge de 60 ans et suivis sur une période de 17 ans après diagnostic a montré que les patients atteints d’un cancer présentaient des taux de mortalité plus élevés que ceux de la population totale dans les années suivant le diagnostic. Cette tendance convergeait vers le niveau de mortalité de la population totale cinq à dix ans après le diagnostic, sans toutefois atteindre le niveau de la population totale 17 ans après le diagnostic.46
La mortalité élevée des personnes ayant survécu à un cancer à long terme est attribuable aux rechutes du cancer, aux nouveaux cancers et aux effets tardifs des traitements anticancéreux.47,48 Par ailleurs, si les comportements liés au mode de vie susceptibles de favoriser le développement du cancer persistent (comme le tabagisme et une alimentation malsaine), ceux‑ci risquent de diminuer les chances de survie du patient sur le long terme.49,50
Cependant, la surmortalité liée au cancer n’était pas quantifiée dans les publications, et pour estimer le risque auquel les assureurs seront exposés dans le cadre du Droit à l’oubli, nous avons analysé les données du programme américain « Surveillance, Epidemiology and End Results (SEER) Cancer Registries Program (2000‑2018) ».51
Afin d’estimer le risque de mortalité de tous les cancers confondus, nous avons extrait des données de mortalité de la base de données SEER pour les patients atteints de cancer diagnostiqués entre 2000 et 2018.52 La mortalité relative des patients atteints de cancer a été calculée comme étant le ratio de la « mortalité observée » des patients atteints de cancer en comparaison avec la « mortalité attendue » de la population générale, ce qui fournit la mesure de la surmortalité chez les patients atteints de cancer.
L’analyse statistique a été réalisée à l’aide du logiciel « R » et d’un cadre basé sur le modèle linéaire généralisé (GLM) avec un test de Tukey. Une correction de Bonferroni pour les tests multiples a été appliquée pour déterminer les significativités. De plus amples détails sur les méthodes d’extraction des données et les analyses statistiques sont disponibles sur demande.
La mortalité relative pour les différentes tranches d’âge est présentée dans le Graphique 3, en fonction des années après le diagnostic. Veuillez noter que l’axe des abscisses indique les années après le diagnostic et non les années après la fin du traitement (ce qui s’applique dans le cadre du Droit à l’oubli). Si nous supposons que le traitement du cancer dure environ deux ans, nous devons regarder les valeurs à 7 et 12 ans après le diagnostic pour connaître les valeurs à 5 et 10 ans après la fin du traitement, ce qui correspond aux données pertinentes dans le cadre de l’application du Droit à l’oubli.
Axe des ordonnées log-normale ; 1 à 18 ans après le diagnostic pour différentes tranches d’âge. La mortalité relative désigne la surmortalité des patients atteints de cancer par rapport à la mortalité de la population (ligne pointillée)
Les données du SEER présentées dans le Graphique 3 montrent que la mortalité relative des patients atteints d’un cancer est plus élevée la première année suivant le diagnostic puis diminue fortement ensuite, tout en restant supérieure à la mortalité de la population.55 La diminution la plus importante de la mortalité relative est observée entre 1 et 5 ans après le diagnostic puis elle se poursuit de manière continue entre 5 et 18 ans après le diagnostic.
La mortalité relative est significativement plus élevée chez les groupes d’âge plus jeunes que chez les groupes d’âge plus âgés au cours des 18 années suivant le diagnostic.
Les patients cancéreux âgés de moins de 30 ans présentaient une mortalité relative significativement plus élevée que les patients âgés de 50 à 69 ans, et les patients atteints d’un cancer âgés de 30 à 39 ans présentaient une mortalité relative significativement plus élevée que les patients âgés de 60 à 69 ans.
Au cours des 10 à 15 années suivant le diagnostic de cancer, l’écart de mortalité relative entre les différents groupes d’âge se réduit considérablement, en comparaison avec les premières années suivant le diagnostic, mais diffère toujours de manière significative selon les groupes d’âge, excepté entre les groupes d’âge de 50 à 59 ans et de 60 à 69 ans. La surmortalité observée dans les groupes d’âge de 15 à 20 ans est particulièrement importante dans le cadre du Droit à l’oubli, puisque chez les enfants ayant survécu à un cancer, un antécédent de diagnostic de cancer doit déjà faire l’objet d’un « oubli » dans les cinq ans suivant la fin du traitement.
Les données du SEER montrent que la mortalité des personnes ayant survécu à un cancer est toujours plus élevée que celle de la population générale 10 à 18 ans après le diagnostic. Les chiffres correspondants du Tableau 1 montrent que la mortalité de la population atteinte du cancer est multipliée par x par rapport à la population générale.56
1 à 18 ans après le diagnostic pour différentes tranches d’âge. La mortalité relative désigne la surmortalité des patients atteints de cancer par rapport à la mortalité de la population.
Par exemple, 12 ans après le diagnostic, les patients atteints de cancer âgés de 30 à 39 ans ont une mortalité 4 fois plus élevée que la population générale, et une mortalité 2,7 fois plus élevée persiste 18 ans après le diagnostic.
La mortalité des tranches d’âge plus élevées (50 à 70 ans) rejoint plus rapidement celle de la population générale que celle des tranches d’âge plus jeunes : les patients âgés de 60 à 69 ans voient leur mortalité multipliée par 1,6 seulement 8 ans après le diagnostic, un chiffre qui diminue ensuite à 1,2 passé un délai de 14 ans après le diagnostic, pour se maintenir à ce niveau jusqu’à 18 années après le diagnostic.
Il est à souligner que le taux de mortalité de la population générale intègre le nombre de personnes décédées des suites d’un cancer, lequel figure parmi les deux principales causes de décès aux États‑Unis, tant chez les hommes que chez les femmes de plus de 45 ans.
Pour obtenir une vision européenne, nous avons comparé les données du SEER des États‑Unis aux données sur la mortalité provenant du registre allemand sur le cancer,57 ce qui nous a permis de constater un niveau important de convergence (données non présentées, consultables sur simple demande).
Dans les pays où le Droit à l’oubli est déjà en vigueur, il se limite aux couvertures de prêts et de crédits et prévoit, en outre, souvent une limitation de l’âge au terme. Par conséquent, la part de la population éligible au Droit à l’oubli est actuellement assez restreinte.
Dans ce qui suit, nous nous attacherons à décrire la population concernée par le Droit à l’oubli, en partant de l’hypothèse que celui‑ci se borne à la couverture de prêts et de crédits.
Pour répondre à cette question, il faut se demander à quel âge les gens contractent des crédits. Le Graphique 4 décrit la part des ménages privés ayant une dette résiduelle de crédit en fonction de l’âge du soutien principal du ménage depuis 2013.58 Il convient de préciser que ces données portent sur le montant restant dû des prêts, ce qui implique que les souscriptions de prêts ont été réalisées quelques ou plusieurs années auparavant.
En supposant un comportement similaire des consommateurs de crédits, la tranche d’âge majoritaire éligible au Droit à l’oubli se situerait approximativement entre 25 et 65 ans avec un pic entre 35 et 50 ans. Le Droit à l’oubli ne s’appliquant plus à partir de 70 ans dans de nombreux pays, la population âgée de 60 à 70 ans sera soumise à une obligation de déclaration en vertu des dispositions du Droit à l’oubli.
En conclusion, nous estimons que la tranche d’âge des proposants éligible au Droit à l’oubli se situe entre 25 et 60 ans.
On peut donc à présent se poser la question suivante :
Afin de répondre à cette question, nous devons examiner le « taux d’incidence », qui correspond au nombre de personnes chez qui un cancer a été diagnostiqué à un âge donné. Dans le Graphique 5, nous pouvons observer le taux d’incidence « tous cancers confondus » établi à partir des données du SEER60 avec la tranche d’âge éligible au Droit à l’oubli indiquée en couleur ocre.
La tranche d’âge éligible au Droit à l’oubli est indiquée en couleur ocre. Selon l’âge au diagnostic, diagnostiqué en 2000‑2018
Les taux d’incidence du cancer augmentent avec l’âge, en particulier très fortement chez les personnes âgées de plus de 60 ans. Au sein des tranches d’âge éligible au Droit à l’oubli (personnes de moins de 60 ans), les diagnostics de cancer ne représentent que 16 % de tous les cas de cancer.
En conclusion, le Droit à l’oubli ne concernera qu’une faible part de tous les cas de cancer.
Les résultats évoqués ci‑dessus sont illustrés au Graphique 6, un schéma combinant les trois paramètres suivants : la mortalité relative, l’incidence du cancer ainsi que la population identifiée comme éligible au Droit à l’oubli en fonction de l’âge.
Les individus plus jeunes (âgés de moins de 25 ans) présentent une mortalité relative plus élevée après un diagnostic de cancer, mais seront acceptés aux conditions normales seulement 5 ans après la fin du traitement. Dans le même temps, très peu de cancers sont diagnostiqués à ces âges précoces, de sorte que la population présentant un risque élevé et susceptible de demander une couverture d’assurance est relativement peu nombreuse.
À des âges plus élevés (plus de 50 ans), la mortalité relative après un diagnostic de cancer est plus faible que chez les jeunes, mais au sein de cette tranche d’âge, l’incidence du cancer augmente déjà. Ainsi, une mortalité relativement faible pèsera sur le portefeuille des assureurs en raison du plus grand nombre de cas de cancer.
Ce risque est atténué par le fait que la population précédemment identifiée comme éligible au Droit à l’oubli se situe dans la tranche d’âge des moins de 60 ans et que, donc, l’effet de la hausse de l’incidence du cancer ainsi que le risque associé pour les assureurs resteront limités.
Les pratiques actuelles en matière de tarification des cancers ne diffèrent pas, d’un point de vue méthodologique, de la tarification des autres maladies. Les différences des conditions d’acceptation entre les patients atteints de cancer et les proposants sans antécédent de cancer ne seront appliquées seulement si celles‑ci peuvent être justifiées, comme l’exige la législation contre la discrimination au niveau mondial. Cela signifie que la preuve médicale de l’existence d’une surmortalité ou d’une surmorbidité associée à la maladie doit être apportée et que les principes reconnus de calcul actuariel doivent avoir été appliqués pour aboutir à une décision de tarification proportionnelle au niveau du risque.
Pour tarifer le cancer, des paramètres cliniques bien établis sont donc pris en compte. Les décisions ne varient pas exclusivement selon le type de cancer. Outre la localisation et le pronostic du cancer, d’autres paramètres sont également pris en compte pour une différenciation plus fine. En effet, c’est le cas s’il existe des preuves suffisantes de la pertinence des paramètres en cause, par exemple :
La décision de tarification doit refléter le risque identifié de la manière la plus précise possible, c’est-à-dire que :
Autrement dit, aujourd’hui, des antécédents médicaux de cancer – sans être ignorés – ne jouent pas nécessairement un effet préjudiciable sur la décision de tarification. Si aucune surmortalité ne subsiste, un proposant avec un antécédent de cancer sera accepté aux conditions normales avant même que 10 années ne se soient écoulées depuis la fin du traitement.
La part de guérison renvoie à la population générale. Il est inapproprié de considérer qu’un taux de mortalité ou une espérance de vie résiduelle égale ou similaire à ceux de la population générale soit un critère suffisant pour décider de ne pas majorer la prime d’assurance.
Ces comparaisons ne tiennent pas compte des écarts selon l’âge et négligent le fait que les assurés « standard » présentent une mortalité nettement inférieure à celle de la population générale en raison des différences socio-économiques, mais également du fait que la population générale intègre à la fois des risques standards et non standards.
L’acceptation de risques aggravés sans surprime proportionnelle conduit, dans le meilleur des cas, à des primes plus élevées pour tous et, dans le pire des cas, à une diminution de la capacité à proposer des assurances facultatives. Pour garantir un système d’assurance facultative à la fois efficace et accessible, il convient de réserver la discrimination positive de certains risques aggravés à un nombre très limité de cas dans l’intérêt général de la société, c’est-à-dire uniquement pour les couvertures obligatoires et en deçà des montants assurés moyens. C’est la raison pour laquelle :
Cela permettra de limiter le phénomène d’antisélection et de garantir l’accès aux services financiers élémentaires les plus importants, et donc de s’attaquer à la question de la discrimination financière des personnes ayant survécu à un cancer. L’expérience acquise de cette manière pourra être utilisée dans le cadre de futures extensions du droit.
Nous considérons qu’une période ininterrompue de dix ans, déjà appliquée dans certains pays de l’UE, comme raisonnable, car après dix ans de rémission complète, le risque de récidive de nombreux cancers diminue fortement ou reste à peu près constant à partir de ce moment.
Des périodes plus courtes pour les cancers avec un pronostic particulièrement bon sont raisonnables, car le pronostic du cancer s’améliore et de plus en plus de cancers peuvent être considérés comme « guéris » même peu de temps après le diagnostic, de sorte que la surmortalité des personnes ayant survécu au cancer devient négligeable. Les cancers dont le pronostic est particulièrement bon devraient être inscrits dans une grille de référence médicale mise à jour au moins tous les deux ans.
Le point de démarrage du Droit à l’oubli devrait correspondre au moment où le médecin traitant constate une « rémission complète », c’est-à-dire dès qu’il n’y a plus aucun signe de cancer actif. Il peut s’agir, par exemple, de la confirmation par une procédure d’imagerie que le cancer a été guéri après la fin du traitement approprié par chimiothérapie, radiothérapie ou immunothérapie. Les nouveaux examens de contrôle destinés à vérifier la persistance de cette rémission au cours des années qui suivent ne relèvent plus du protocole thérapeutique, autrement dit, ils ne viennent pas interrompre le délai du Droit à l’oubli.
De quelle manière la déclaration fonctionne-t-elle dans le cadre du Droit à l’oubli ? Qui est censé « oublier » un diagnostic de cancer antérieur : le proposant ou l’assureur ? Examinons la situation dans les différents pays où le droit à l’oubli est déjà en vigueur.
Dans ces marchés, il appartient au proposant de déterminer si un diagnostic antérieur de cancer doit être déclaré à l’assureur. Ainsi, la compagnie d’assurance ne dispose d’aucune information concernant un diagnostic antérieur de cancer pour lequel le Droit à l’oubli s’applique.
Cette approche favorise l’égalité de traitement entre les proposants avec et sans diagnostic préalable de cancer. Cependant, les effets à long terme des traitements anticancéreux doivent toujours être déclarés et il peut être difficile pour le tarificateur de l’assurance de les interpréter s’il n’a pas connaissance du diagnostic antérieur de cancer (et son traitement).
Cela peut se révéler compliqué pour les proposants qui ne disposent pas de connaissances médicales de comprendre les exigences du Droit à l’oubli.
Le proposant doit être capable de définir correctement la date à laquelle le cancer a été traité avec succès et le temps suffisant qui doit s’être écoulé depuis lors, sachant que certains cancers peuvent ne pas être déclarés après un laps de temps plus court.
En Belgique, la procédure de déclaration fonctionne différemment : le proposant effectue une déclaration complète, et c’est à l’assureur de déterminer si cette information doit être « oubliée » ou non.
Au vu de ce qui précède, il semble préférable, tant du point de vue du proposant que de celui de l’assureur, que les questions relatives au cancer demeurent autorisées de manière générale. En effet, les assureurs sont les mieux placés pour évaluer si les informations médicales sont utiles et si les informations communiquées relèvent du Droit à l’oubli et si elles doivent donc être négligées lors de l’évaluation du niveau de risque de la personne. Cela garantit la sécurité juridique, dans la mesure où :
Si le proposant est en droit de ne pas déclarer un cancer qui remplisse toutes les conditions du Droit à l’oubli, une notice explicative correspondante doit néanmoins accompagner la demande et préciser clairement les conditions cadres afin de protéger le proposant et l’assureur contre tout manquement à l’obligation précontractuelle de déclaration.
Les maladies chroniques ne s’intègrent pas bien dans la notion de Droit à l’oubli car elles ne peuvent pas être « oubliées ». Par conséquent, il apparaît préférable de ne pas leur appliquer les mêmes principes. Cependant, les tarifications des maladies qui peuvent être guéries comme le cancer, mais qui sont néanmoins associées à une augmentation du risque à long terme, devraient également être remises en question sur le long terme pour des raisons d’égalité de traitement. Dans la mesure où les pratiques en matière de tarification sont identiques, les patients atteints de cancer seraient explicitement placés en meilleure position par rapport aux personnes atteintes d’autres maladies.
Le secteur a prouvé que les manuels de tarification évoluent avec le temps et s’alignent sur les progrès médicaux et la disponibilité des données statistiques. Il est dans l’intérêt du secteur d’assurer le plus grand nombre de vies possible – à des niveaux de primes équitables et proportionnels au niveau de risque de l’individu. La législation existante fournit un cadre réglementaire suffisant.
Le secteur est invité à partager davantage d’informations sur la manière dont la tarification est conduite et sur le fait que les assureurs présentent des degrés d’appétence au risque différents et que l’utilisation de différents canaux de distribution permet des niveaux de sophistication ou de profondeur de la tarification différents et donc des résultats différents.
Plutôt que de recourir à la voie législative, un code de conduite du secteur pourrait fournir des informations suffisantes aux consommateurs, en lieu et place d’une législation qui comporte de nombreux risques tant pour les proposants que pour les assureurs.
